Gaz de lisier, tueur sournois

 Afin d’obtenir un lisier homogène pour l’épandage, il faut régulièrement agiter le produit. Un processus qui comporte toutefois de grands dangers. Outre les dangers, connus, du travail avec de grosses machines, il y a celui des gaz de lisier. Chaque année, il faut constater que le risque est sous-estimé et des ouvriers agricoles meurent, victimes de ce tueur sournois. Qu’est-ce que les gaz de lisier, pourquoi sont-ils aussi dangereux et surtout, que peut-on faire pour éviter des tragédies ?

Un moment de distraction, et c’est arrivé : un smartphone qui tombe dans la fosse, un ouvrier qui se laisse emporter par son ardeur de travail, un autre voulant gagner du temps… Chaque tragédie commence par une action des plus banales. Mais, en connaissant le danger mortel que cachent les fosses à lisier, il faut se demander : est-ce que je veux vraiment risquer ma vie pour un smartphone ? Ces 5 minutes de gagnées font-elles vraiment la différence au point de risquer que le temps s’arrête ?

Mais qu’est-ce que c’est, le gaz de lisier ?
A priori, rien de plus inoffensif que du lisier.  Pourtant, les gaz formées dans la fosse sont extrêmement dangereux.

En stockant le lisier, on créé un environnement pauvre en oxygène et propice à la fermentation. Une fermentation qui produit des gaz toxiques et très inflammables. Nous nous penchons sur ce qui se passe dans votre fosse à lisier.

Les cinq gaz à lisier les plus communs et dangereux sont : l’ammoniac (NH3), le sulfure d’hydrogène (H2S), le méthane (CH4), le cyanure d’hydrogène (HCN) et l’hydroxyde de carbone (CO2). Toutes ces substances peuvent causer de graves dégâts en cas d’exposition.

L‘ammoniac est un composé chimique à base d’hydrogène et d’azote. L’inhalation de cette substance cause une irritation des voies respiratoires et des yeux. En grandes quantités, le gaz cause des dégâts irréversibles aux poumons et, dans le pire des cas, la mort. Il est à noter que l’ammoniac se dissout dans l’eau.

Le sulfure d‘hydrogène est un composé chimique constitué de soufre et d’hydrogène qui, par concentrations faibles, a une odeur d’œufs pourris. Il est produit par la décomposition de matière organique. Le gaz est plus lourd que l’air. En plus d’être toxique, ces vapeurs forment des mélanges extrêmement explosifs avec l’air. Le sulfure d’hydrogène impacte le système nerveux central. L’inhalation peut causer : irritation et dégâts aux yeux, paralysie du nerf olfactif (et donc, du moyen de détection du gaz), perte de conscience et arrêt respiratoire. Par haute concentration, une seule bouffée peut être mortelle.

Le méthane est l’hydrocarbure le plus simple et le premier terme de la famille des alcanes. Le méthane est produit de façon anaérobie lors de la décomposition de matière organique. Il est inflammable et plus léger que l’air, ce qui fait qu’il remonte à l’étable où il représente un danger d’incendie ou d’explosion. Inhaler du méthane cause, entre autres, l’irritation d’yeux, du nez et de la gorge, des étourdissements, des problèmes d’équilibre, des œdèmes pulmonaires et des sévères problèmes de respiration. Une exposition à des fortes concentrations cause une perte de conscience rapide suive de convulsions et de la mort. Quelques bouffées suffisent.  Par de très hautes concentrations, une seule bouffée peut causer une perte de conscience ou même une mort immédiate.

Le cyanure d’hydrogène se compose d’hydrogène, de carbone et d’azote.  Cette substance extrêmement toxique a marqué l’histoire de manière sinistre en causant la mort de 1,2 million de personnes dans les camps de concentration d’Auschwitz-Birkenau et de Madjanek lors de la seconde guerre mondiale.  Elle est mieux connue sous le nom de « Zyklon B ». Les effets du cyanure d’hydrogène dépendent fortement de sa concentration. Par fortes concentration, la substance tue immédiatement. Elle est absorbée par inhalation et de façon cutanée. Parmi les symptômes graves : perte de conscience et arrêt respiratoire. D’autres symptômes, comprenant vomissements, étourdissements, troubles du rythme cardiaque et problèmes respiratoires sont également à prendre très au sérieux.

Le dioxyde de carbone est un composé inorganique à base de carbone et d’oxygène. Il s’agit d’un gaz que l’on retrouve fréquemment dans la nature et qui est plus lourd que l’air. En atmosphère confinée, comme une fosse à lisier, il forme des poches de gaz au sol. Bien que nous produisons tous du dioxyde de carbone, l’inhalation de ce gaz perturbe le transport d’oxygène dans le sang. Même présent en quantité infime dans l’air, le CO se liera préférentiellement à l’hémoglobine du sang au lieu de l’oxygène. Cette substance prive donc ses victimes d’oxygène. Parmi les symptômes d’une intoxication au CO2 : maux de tête, nausées, vomissements, palpitations et perte de conscience. L’inhalation d’une forte concentration peut causer une détresse respiratoire immédiate.

Les gaz toxiques sont mesurés en parts par million (ppm).  A quelques dizaines de ppm sur une courte période, ils ne causent pas de dégâts permanents. Des concentrations de 700-1000 ppm de H2S sont mortelles en quelques minutes. Or, il faut savoir que l’agitation du lisier peut libérer pas moins de 20.000 ppm de H2S. A de telles concentrations, la victime ne sent pas le danger, comme nous le confirme le corps des pompiers de la zone d’Anvers : « En petites doses, ce gaz sent les œufs pourris mais en grandes concentrations (à partir de 100 ppm, ndlr.), l’odorat est éliminé. »  La victime ne se rend donc pas compte du danger.

Et ceci n’est qu’un seul des gaz que l’on retrouve dans les fosses à lisier. Mélangés, ces gaz forment une combinaison mortelle. Une seule bouffée suffit. Même intervenir peut s’avérer mortel.

Combinaison explosive
Le danger de se rendre dans la fosse à lisier – et d’inhaler les gaz qui s’y trouvent – est clair. L’inhalation des gaz ne représente toutefois pas le seul danger.

Il s’agit notamment d’une combinaison très inflammable qui présente un risque réel dans et autour de l’étable, surtout pendant la période d’hiver où les animaux se trouvent à l’intérieur, ce qui fait que la fosse se remplit plus vite.  Les fosses ne pouvant être vidées qu’à partir de février, leurs contenus se mettent à fermenter. En général, les étables sont également moins bien ventilées en hiver, permettant aux gaz nocifs de se tasser.  Ajoutons une période de températures clémentes et la fermentation s’accélère. Une petite étincelle suffit pour causer une explosion.

Naturellement, on sait que fumer ou utiliser du feu est absolument interdit dans les étables, surtout en période d’hiver. Toutefois, dans les « bonnes » conditions, il suffit d’une toute petite étincelle : celle causée par un moteur (mal entretenu), des câbles d’électricité, l’électricité statique de vos vêtements …

 Sécurité autour de la fosse à lisier
Les accidents arrivent généralement lors de l’agitation du lisier à l’entreprise porcine ou laitière. Quelles précautions peut-on prendre afin d’éviter des drames à la ferme ? A ce sujet, quelques instances ont publié des brochures d’informations utiles, comme par exemple la brochure issue de la collaboration entre Fedagrim et Preventagri.  Voici un résumé des mesures à prendre:

Avant de commencer

Faites attention à ne mettre personne en danger pendant les travaux! Démarquez le terrain afin d’éviter la présence de personnes non autorisées (qui ne se rendent souvent pas compte du danger potentiel) dans la zone des travaux. Soyez attentif à la direction du vent lorsque vous établissez le périmètre. Celui-ci doit être plus important en aval qu’en amont. Évitez toute présence dans l’étable pendant et jusqu’à 30 minutes après d’agiter la fosse et ne contrôlez pas la situation depuis les grilles dans l’étable. C’est là que les gaz échappent et que les concentrations sont souvent très importantes.

Planifiez les travaux de façon méticuleuse et prenez les précautions nécessaires. Par exemple, faites en sorte qu’il y a toujours une deuxième personne dans les environs et révisez les procédures de travail et d’urgence avec cette personne.

Travaillez par des conditions météorologiques optimales : évitez d’agiter la fosse par temps chaud ou orageux, tenez compte d’un minimum de 2-3 Bft de vent et assurez une ventilation optimale des étables avant de commencer.

Ouvrez toutes les portes et remontez toutes les bâches et faites-le bien à l’avance.

Pendant les travaux

Sortez du tracteur immédiatement après avoir mis en marche l’agitation. La cabine est un espace semi-confiné où les gaz peuvent rapidement et facilement atteindre de fortes concentrations. Attendez au moins une demi-heure après avoir démarré l’agitation avant d’entrer dans la cabine. Une petite cigarette pour faire passer l’attente ? Très mauvaise idée !

Gardez le couvercle de la fosse fermée le plus longtemps possible. Il suffit souvent d’ouvrir une partie du couvercle pour insérer le tuyau.  Si l’étable est équipée d’entonnoir en matière synthétique ou en béton, n’ouvrez pas le couvercle.

Évitez les endroits qui ne sont pas bien ventilés, comme le local de cuve, dans l’étable pendant les travaux.

Ne vous rendez pas dans les parties basses de l’étable comme la salle de traite. Ce sont des endroits propices au tassement des gaz lourds et la ventilation y est insuffisante.  Si possible, sortez les animaux. Si cela n’est pas possible, bloquez les aux mangeoires. Grâce à la positions des mangeoires, en face des portes, la ventilation y est généralement suffisante et les gaz n’y ont pas l’opportunité de remonter.

Cela va de soi, mais malheureusement, les accidents y sont encore trop nombreux : ne vous rendez jamais dans la fosse à lisier, même en partie, sans appareil respiratoire. Même pas quand elle est presque vide ou ouverte. Même pas pour quelques secondes ou pour un contrôle rapide, même pas en ne passant que votre tête dedans. Cela ne vaut tout simplement pas le risque.

Chez les bêtes

Lorsque de l’eau usée, d’autre lisier, du lait, du digestat ou d’autres substances s’ajoutent au lisier, une libération augmentée des gaz de lisier est à attendre. Même de la nourriture qui attérrit dans la fosse par accident peut causer cette réaction. Le mieux est donc de l’éviter en prévoyant un système de récupération séparé.

La situation devient franchement dangereuse lorsque de grandes quantités de nutriments supplémentaires atterrissent dans la fosse, suite à une fuite de silo ou au déversement de lait dans la fosse par exemple. Ceci peut former de l’écume et libérer des gaz mortels sans que le lisier ne soit agité. Ces gaz se retrouvent dans la partie supérieure de l’écume. Les animaux qui baissent la tête à la hauteur de l’écume peuvent ainsi mourir.

Prenez garde à ce que le débit des ventilateurs demeure en-dessous du débit des ouvertures de la ventilation forcée chez les porcs, sinon l’air de la fosse sera aspirée.

En cas de problèmes

Arrêtes les travaux immédiatement afin d’éviter la propagation des gaz, ventilez au maximum et utilisez des ventilateurs de surpression. Éliminez les bouchures en inversant la direction de pompage du lisier.

En cas de travaux ou de présence dans la zone dangereuse

Ne vous rendez jamais dans la zone dangereuse sans appareil respiratoire et mesurez les taux d’oxygène, de substances toxiques et le danger d’explosion avant d’y pénétrer. Prévoyez une corde de sécurité avec harnais et trépied ainsi qu’une deuxième personne avec la connaissances et le instructions nécessaires. Exigez que cette personne ne se rende en aucun cas dans la zone de danger. Assurez-vous que quelqu’un soit prêt à appeler les secours en cas de besoin et utilisez uniquement du matériel anti-explosion.

 

En cas d’accident dans ou autour de la fosse à lisier, les pompiers ne se mobilisent souvent que lorsqu’une victime est tombée. Lors d’une intervention, même les pompiers sont en danger : il suffit de couper l’appareil respiratoire en sortant de la fosse pour se faire prendre par les gaz qui se trouvent dans les vêtements.

Le porte-parole du corps de pompiers de la zone d’Anvers offre les conseils suivants : « Ce type d’intervention est assez limité dans notre ville et notre port, mais nous connaissons les points d’attention », confie-t-elle

Que faire en cas d’accident ?

Premier secours :

  • N’intervenez surtout pas lorsque vous voyez une personne inconsciente. Une seule bouffée est potentiellement mortelle. N’essayez pas d’évacuer la victime. N’administrez pas de premiers soins : même par le bouche à bouche, vous pouvez inhaler les gaz toxiques et tomber vous-même victime.
  • Appelez immédiatement les secours
  • Les pompiers évacueront la/ les victime(s) équipés d’appareils respiratoires avant que le service d’ambulance ne prennent soin d’eux.

Dans l’étable :

  • Si des bêtes sont intoxiquées, il est important de ventiler rapidement. N’allumez pas les ventilateurs fixes de l’étable ! Ceux-ci aspireront une partie de l’air de la fosse et ne feront qu’empirer la situation. La ventilation à ventilateur doit se faire avec un ventilateur externe qui amène de l’aire frais de dehors (comme un ventilateur à surpression).
  • Adaptez vos procédures de travail : agitez plus souvent afin de réduire la concentration par agitation, assurez une bonne ventilation à tout moment et essayez d’effectuer les travaux par temps venteux.
  • Pensez à effectuer ces travaux équipé d’une protection respiratoire

 

Équipements de Protection Individuelle

Pour votre protection dans des situations dangereuses, vous pouvez faire appel à des Équipements de Protection Individuelle (EPI). Dans le cas de travaux avec du lisier, il s’agit de détecteurs de gaz, de vêtements de protection et d’appareils respiratoires.

Un détecteur de gaz est un petit appareil à fixer aux vêtements qui détecte la présence de gaz dangereux dans l’air environnant. Les gaz les plus fréquemment détectés sont le CO ou CO2, le H2S et l’O2. La plupart de ces détecteurs sont également équipés pour détecter les gaz explosifs comme le méthane. L’appareil détecte même les petites concentrations afin de vous alarmer à temps et de vous permettre de quitter les lieux immédiatement.

Nos vêtements de travaux normaux sont suffisant pour des travaux d’agitation ou d’épandage de lisier. Pour les travaux dans la fosse, il faut prévoir une tenue adaptée. Le cyanure d’hydrogène s’absorbe également via la voie cutanée. Il est donc important de porter des vêtements de protection. Des vêtements imperméables et un masque sont un bon début, mais il existe des tenues spécifiques faites pour les travaux dans les fosses à lisier. Ces tenues protègent non seulement le porteur, mais également l’appareil respiratoire.

Un masque à gaz simple ne suffit pas pour les travaux dans la fosse. On n’est qu’en sécurité lors de l’utilisation d’air comprimé. Mieux vaut également prévoir un cylindre de réserve en cas de problèmes pendant les travaux.

 

Cet article a déjà été publié dans Hectares Magazine 2020-01 – Vous pouvez lire le magazine en ligne ici

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