Magazine – L’agriculture avec un handicap : impossible n’est pas fermier !

Le métier d’agriculteur est dur et non sans risques. D’un moment à l’autre, un accident peut tout faire basculer. Mais nos agriculteurs sont également tenaces et amoureux de leur profession : plutôt que de se laisser abattre, beaucoup d’entre eux trouvent des solutions pour pouvoir continuer à l’exercer. Voici l’histoire de Jean-Paul Dawance.

Le jeune Jean-Paul Dawance a grandi à la ferme de ses parents à Ouffet (province de Liège). A vingt-huit ans, il a tout juste repris une partie de la ferme familiale et vient de devenir papa. L’agriculture, c’est sa vie. Mais, il y a un peu plus de 30 ans, un accident changera sa vie. Jean-Paul se trouve sur une remorque pendant les travaux de fenaison au champ, lorsque celle-ci se met à rouler. Descendant une pente à toute vitesse droit vers une sapinière, Jean-Paul saute. Un acte qui lui a probablement sauvé la vie, mais qui aura aussi de lourdes conséquences. « La remorque n’étais pas haute, mais il suffit de mal tomber, et c’est exactement ce qu’il m’est arrivé. » Souffrant d’une fracture des vertèbres et d’une section de moelle, Jean-Paul apprend la terrible nouvelle à l’hôpital : le jeune homme se retrouve paraplégique.

Croisée des chemins
Après cinq mois d’hospitalisation et une longue réadaptation, Jean-Paul est à la croisée des chemins. « Vu ma passion pour le milieu agricole et le fait que je venais de reprendre une partie de la ferme, j’ai décidé de tenter ma chance et de redémarrer mon entreprise. Ça n’a pas été facile, mais j’étais bien entouré. » Aidé de sa famille et de Jean-Louis, l’ingénieux marchand de machines agricoles du village, Jean-Paul peut essayer un tracteur légèrement aménager pour accommoder son handicap et continuer son travail. Un an après l’accident, le revoilà au volant d’un tracteur. Aujourd’hui, il conduit son quatrième tracteur modifié. « Grâce aux tracteurs aménagés et avec beaucoup d’aide de mon frère, de ma femme et maintenant aussi de mon filleul, je peux continuer à travailler à la ferme. »

Jean-Paul et sa famille exploitent un élevage laitier et de grande culture, avec 80 hectares de froment, d’orge, de colza, de betteraves fourragères et de maïs et encore 80 hectares de pâturages. En plus de cela, ils travaillent en entreprise agricole où ils se spécialisent dans tout ce qui est semis de grains, moissonnage et ballotage et travaux divers. Jean-Paul se charge de tout ce qui est fanage et parcourt environ 1500 hectares par an à retourner le foin et à andainer. « J’ai dû beaucoup réfléchir aux problèmes d’accéder dans le tracteur, une fois que j’avais surmonté mon hésitation à continuer. Conduire un tracteur est en même temps un vrai plaisir et une crainte, puisque en cas de soucis au champ je ne sais pas à en descendre tout seul. »

Tracteurs aménagés
Le premier tracteur aménagé de Jean-Paul était un Zetor. Les aménagements étaient légers : un vérin sur la pédale de frein, un autre sur la pédale d’embrayage, le siège aménagé sur le côté du tracteur avec un rail de porte de hangar et un treuil avec des roulettes : « cela m’a permis d’essayer. Je ne voulais pas investir beaucoup parce que je ne savais pas si ma colonne vertébrale me permettrait de travailler, alors je conduisais avec un distributeur comme on faisait avec un chargeur à fumier. » Au bout de quatre ans et vu que sa santé le lui permettait, Jean-Paul opte pour un tracteur plus moderne et achète un Steyr, beaucoup plus adapté à son handicap. Il conduira ce tracteur pendant dix ans avant de l’échanger pour un autre Steyr, encore plus moderne et avec une boîte automatique. Chaque nouveau tracteur était aménagé par Jean-Louis qui avait toujours de nouvelles idées et astuces. « Plus de facilité et de sécurité ! J’ai fait 14.000 heures avec ces deux tracteurs avant d’échanger le troisième pour un nouveau Steyr. »

« Mon nouveau tracteur est d’abord venu chez le concessionnaire Marchandise, qui a fait une partie des adaptations, et a ensuite été transporté vers l’Allemagne, chez Graf-Fahrzeugtechnik GmbH. Il fallait bouger le réservoir à mazout pour qu’il soit moins encombrant pour monter un élévateur, ce qui demandait beaucoup de travail. » L’aménagement des freins, avec un vérin et un distributeur sur l’accoudoir, trois caméras à l’arrière du tracteur pour permettre à Jean-Paul de bien tout voir sans être obligé de se tourner est réglé par Marchandise SA (Engis) qui s’est également chargé d’une grande partie des papiers et du transport. Après six semaines, Jean-Paul peut prendre les commandes de son nouveau tracteur.

« Grâce au CVT, j’avais toutes les fonctions en main ce qui était pratique puisqu’il ne fallait pas adapter cela. C’est surtout le montage qui a demandé beaucoup de travail couteux : un investissement de 30.000 euros. Heureusement, j’ai pu compter sur l’aide de l’AVIQ (Agence pour une Vie de Qualité, red.). Franchement, il est très fonctionnel et grâce à l’aménagement des freins et des caméras, je me sens en sécurité. Il me faut simplement l’aide d’une personne pour attacher ma machine et je peux travailler. »

En plus de son tracteur Steyr, Jean-Paul dispose également d’un Avant. Celui-ci n’a pas dû être fortement adapté puisqu’il dispose des joysticks, ce qui convenait bien pour son handicap puisqu’il fait tout avec les mains. « Il a juste fallu installer des barres de sécurité pour que je ne tombe pas. J’utilise l’Avant pour l’alimentation des bêtes, ce qui représente environ 800 heures par an. Le nouveau Steyr a déjà 1300 heures à son compteur. »

Travailler avec un handicap
Si Jean-Paul est heureux de pouvoir continuer à exercer son métier, il ne cache pas qu’il est très dur de travailler avec son handicap. « Moralement c’est très dur. Même après 30 ans, j’ai des journées que je passe en larmes. Il y a le plaisir de conduire un tracteur, mais il y a aussi tous les autres soucis qui viennent avec mon état de santé : j’ai eu et ai encore des escarres et des plaies et j’ai des problèmes d’incontinence qu’il faut pouvoir gérer tout en travaillant. Au moment des gros travaux, souvent, je monte dans le tracteur à 9h et je n’en redescends qu’après 22h. Je dois donc prévoir tout mon nécessaire en montant. Il faut gérer toutes ces heures dans la cabine avec les problèmes que j’ai. »

« Je dois admettre que c’est très dur, mais si je peux donner un conseil à quelqu’un qui se retrouve dans ma situation : si c’est quelqu’un de motivé et que cette personne peut se le permettre, elle peut elle aussi faire ce que je fais. En revanche, je ne pense pas que j’aurais pu le faire si je n’avais pas été entouré de ma famille :  même si je peux travailler, j’ai besoin d’aide et il y a certaines choses auxquels je n’ai pas accès. Ma femme, franchement, c’est une femme en or et ma fille a toujours été là pour moi également, la situation n’est pas facile pour mon entourage, qui a dû faire des concessions aussi. Mais je suis heureux d’avoir pu, grâce à leur aide, continuer parce que j’ai besoin de ça pour vivre. »

 

Texte : Kim Schoukens

Images : Antoon Vanderstraeten

 

Cet article est paru dans Hectares Magazine n°3. Cliquez ici pour lire le magazine. 

 

Previous post Krone Big M désormais disponible avec conditionneur à rouleaux
Next post Imants ajoute bêcheuse à vilebrequins à sa gamme

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *