Magazine – Sécurité : Fatigue au volant

Pour Béné Brusselle (48 ans), originaire de Sint-Pauwels (Flandre occidentale), ce qui devait être la fin d’une période de travail intensif a bien failli virer au drame. Comme pour tous les ETA, le mois de juin était un mois où Béné travaillait de très longues heures : la protection des cultures, la récolte,… D’ici la mi-juin 2018, Béné n’en avait plus que pour une journée de semis chez un client.

« Après une nuit assez courte où j’ai dormi environ trois heures, je devais semer 30 hectares avec notre Vredo. Comme il y avait beaucoup de travail, j’ai commencé assez tôt le matin malgré la courte nuit. Pendant la journée, mon fils était avec moi : c’était la fête des pères et il voulait être avec papa. Ce n’était pas trop mal, avec la compagnie. » C’est lors de la fin sur le tout dernier morceau que les choses ont mal tourné. Béné : « Ma femme est venue chercher mon fils vers 17 heures, puisqu’il devait aller à l’école. À ce moment-là, j’avais encore quelques heures de travail. Vers 22 heures, j’ai commencé le dernier bloc : un beau morceau rectangulaire et long d’environ 6 hectares »

Une heure et demie plus tard, les travaux avaient beaucoup progressé, mais la trémie était vide. Béné se rend à la ferme et remplit le réservoir avec la femme de l’agriculteur, après quoi il retourne à la parcelle, enclenche le pilotage automatique du RTK et se met à rouler. « Sur ce terrain et dans ces conditions, je pouvais rouler à environ 14km/h sans problème. Mais tout d’un coup, le trou noir. Je ne me souviens plus de l’impact, mais je me suis réveillé dans le ruisseau, le poids frontal de l’autre côté et le nez du tracteur à un angle de 45° vers le bas. Tant la machine que le tracteur tournaient encore. »

Béné a encore le sang froid d’arrêter le tracteur et la machine : « Je ne sais pas comment je suis sorti du tracteur, mais je me souviens que j’étais très étourdi. Je me sentais faible, il y avait du sang partout dans la cabine et j’étais moi-même couvert de sang. »

Il découvre ce qui s’est passé exactement grâce au voisin d’en face, qui était venu voir  juste avant de se coucher et a vu l’accident. Béné a eu beaucoup de chance : le poids frontal du tracteur a fait en sorte qu’il a évité le pire. Il a absorbé l’impact et s’est enfoncé dans la berge d’en face. Sans cela, les conséquences auraient pu être beaucoup plus lourdes.

Sur le moment même, difficile de voir si Béné était (gravement) blessé. Étourdi et couvert de sang, il appelle le fermier puis l’ambulance. Comme l’accident s’est produit à 500 mètres de la rue, la femme du fermier vient le chercher. « D’après le distributeur, j’ai dû passer par la trappe de toit en plastique du tracteur », dit-il. « Mon sourcil et ma paupière étaient déchirés, et j’avais des fissures dans l’orbite. Au total, j’ai dû me faire mettre 16 points de suture autour de la région de l’œil. Le volant a dû absorber une partie de l’impact, car il était complètement déformé et vu ma douleur dans les muscles du bras et de la poitrine, j’ai dû y mettre de la force moi-même ».

Les pires des dégâts sont pour le tracteur. Pendant que Béné reçoit les soins nécessaires, le tracteur est ramené à la maison avec un porte-engins. Le volant est tordu, la trappe de toit abimée, le poids frontal fortement endommagé en raison de broches d’attelage pliées, et les freins détruits. « Il a fallu au distributeur quelques heures de nettoyage pour enlever tout le sang avant qu’il ne puisse commencer à réparer les dégâts. Le tracteur a du passer plusieurs jours chez le distributeur. Quelques semaines plus tard, je remarquais des problèmes avec l’essieu avant. Une vérification a révélé que l’impact avait provoqué de minuscules fissures qui avaient continué à s’élargir et à causer des dégâts. Résultat : un nouvel essieu. » Heureusement, il n’y avait pas de dégâts à la parcelle et au semoir.

Comment la fatigue a-t-elle pu s’accumuler au point que Béné ne s’est pas senti s’endormir, le soir de l’accident ? Quel concours de circonstances l’a conduit à se retrouver dans sa situation pénible ? Bon nombre d’agriculteurs se reconnaitront.

 

Trop peu de sommeil

La soirée de l’accident arrive après une période très intensive pour Béné, qui avait traité 800 hectares de maïs, de céréales, de betteraves et de pommes de terre dans les semaines précédentes. Pendant trois semaines, il a conduit presque jour et nuit, sans interruption et ce sept jours sur sept. Lorsque le temps ne permettait pas de pulvériser, Béné a aidait son partenaire avec le préfané.

« Dans les semaines qui ont précédé l’accident, j’estime que j’ai dormi en moyenne 2 heures par nuit. Je dis « moyenne », parce que la réalité était plutôt que je sautait deux nuits pour continuer et que je rattrapais ensuite quelques heures de sommeil, et ainsi de suite. C’était épuisant. En mettant le tracteur en mode automatique cette nuit-là, je suis probablement devenu moins attentif puisqu’il se conduisait parfaitement tout seul, et c’est probablement pour cela que j’ai somnolé. »

Normalement, la machine signale la fin d’un passage à la fin d’une parcelle, un peu avant la tournière, par un signal sonore. Un signal que Béné n’a toutefois plus entendu. Une chance, selon le médecin urgentiste ! « Parce que je dormais, je n’ai pas résisté », dit Béné. « De ce fait, les blessures ont été réduites au minimum. D’autre part, bien sûr, ceci ne serait pas arrivé si je ne m’étais pas endormi ».

La fin du printemps et la récolte sont une période très chargée dans les champs, et même si beaucoup reconnaîtront probablement l’histoire de Béné, elle ne suscitera probablement pas l’inquiétude. Il n’y a que 24 heures dans une journée, et le travail doit être fait. Et pourtant, Béné pense différemment maintenant : « Dans ces moments de pointe, on fonctionne sur l’adrénaline, et c’est pourquoi on continue. Mais il arrive un moment où votre corps dit « stop ». Quatre ans avant l’accident, j’avais déjà été admis deux fois avec des arythmies cardiaques dues à une fatigue excessive, et à chaque fois, il a fallu me défibriller. Pendant les périodes où mes problèmes cardiaques étaient sous contrôle, je me sentais en forme, et c’est là où est le danger. On a besoin de sommeil, et il est très important de se reposer à temps et d’écouter son  corps. Trop souvent, je pensais que je pouvais tout me permettre, comme quand j’avais 20 ans, mais la réalité est bien différente. »

Quelques mois seulement après son accident, Béné est à nouveau confronté aux dangers de son travail : en janvier 2019, il glisse dans la neige et tombe d’une remorque. Le résultat : plusieurs opérations à la cheville et 4 mois d’incapacité de travail. « Au cours de ce long séjour à la maison, j’ai eu le temps de bien réfléchir et j’ai décidé d’arrêter le travail d’entrepreneur agricole. La principale motivation de cette décision était l’irrégularité des horaires et le manque de repos. En quelques années seulement, nous avions tellement de travail dans le domaine de la protection des cultures que c’était devenu trop pour une seule personne, et le travail ne cessait de s’accumuler. Il fallait prendre une décision en faveur de la croissance, mais la pulvérisation est une tâche si délicate qu’il était difficile déléguer ce travail. En réalisant que grandir signifiait aussi acheter un deuxième pulvérisateur et tous les risques financiers que cela impliquait, ma décision était prise. Il était temps de penser à ma santé et à ma famille. »

« Mon beau-père a travaillé dur toute sa vie et s’est construit une belle carrière, mais il est décédé à 51 ans seulement » , poursuit-il. « J’ai vu cet âge s’approcher, et cela a certainement joué un rôle dans ma décision. Le fait de savoir que la protection des cultures implique des horaires de travail très irréguliers m’a fait comprendre qu’il valait mieux que j’arrête ».

Aujourd’hui, Béné travaille comme chauffeur de camion. Son horaire demeure assez lourd : chaque jour, il se lève à une heure et demie pour commencer, mais il est régulier.  « Je me lève à la même heure chaque jour et peux aller me coucher à temps le soir afin de dormir suffisamment. Enfin, j’ai le temps de récupérer les week-ends.  Grâce à cela, je suis désormais beaucoup moins fatigué ».

« Si je peux donner un conseil aux lecteurs, c’est celui-ci : écoutez-vous et votre corps et prenez suffisamment de repos. »

 

La suite de cet article est à lire dans Hectares Magazine n°3.

Cliquez ici pour lire le magazine. 

 

Texte : Kim Schoukens

Images : Antoon Vanderstraeten

 

 

 

 

 

 

 

 

Previous post Ploeger présente andaineur à tapis trainé
Next post Le semoir Fendt Momentum fait son entrée en Europe

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *